La deuxième audience publique de la Commission vérité, justice et réconciliation fut l’occasion d’une catharsis pour les personnes affectées par les événements dramatiques qui ont jalonné la vie sociopolitique de notre pays.
Au
total, ce sont 12 personnes qui ont accepté de parler des « atrocités »
qu’elles ont subies, lors de la deuxième audience publique de la
Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR) tenue samedi dernier
au Centre international de conférences de Bamako (CICB). L’ouverture de
cette rencontre était présidée par le Premier ministre, Moctar Ouane en
présence des membres du gouvernement, du président de la CVJR, Ousmane
Oumarou Sidibé, et de plusieurs autres personnalités.
Le
thème retenu pour cette rencontre était : «Atteintes au droit à la vie
et à l’intégrité physique». Dans son intervention, le Premier ministre a
rappelé que la paix et la réconciliation sont au cœur des priorités de
la Transition. Moctar Ouane a, par la suite, apprécié les audiences
publiques qui concourent parfaitement à cet objectif dont la réalisation
est attendue par tous les Maliens.
Évoquant la
thématique de la rencontre, le chef du gouvernement a souligné que la
Constitution de notre pays consacre le caractère sacré et inviolable de
la personne humaine. Selon Moctar Ouane, même si notre histoire
nationale a connu des épisodes douloureux, il faut aussi admettre que le
pardon demeure une valeur cardinale de notre société. Il y a eu certes
des blessures qui ont entamé le tissu social, mais «nous devons
reconstruire notre vivre ensemble sur la base de la vérité et de la
justice qui ne doivent effrayer personne», a-t-il exhorté.
Le
président de la CVJR a signalé que les audiences publiques ne sont pas
des audiences judiciaires. À la différence des tribunaux qui cherchent à
établir la culpabilité ou l’innocence des auteurs présumés, ici seules
les victimes seront entendues, la CVJR leur offrant un cadre digne et
sécurisé où elles pourront raconter les souffrances, a clarifié Ousmane
Oumarou Sidibé.
Pour sa part, la présidente de
l’Association des victimes, Fatoumata Touré, a indiqué qu’à travers
l’audience publique, la CVJR ne donne pas seulement une tribune pour
parler de ce qui fait mal, elle offre l’occasion aux victimes de guérir
des blessures visibles et invisibles.
Au cours
d’une émouvante séance, individuellement ou collectivement, les victimes
ont exprimé leur «mal» devant un panel composé de cinq commissaires et
dirigé par le président de la CVJR.
105
CORPS- Attaques meurtrières, exactions, enlèvements et disparitions…
sont autant de traitements inhumains et dégradants dont ces personnes
ont été victimes. À l’image de Mahammar Almatar Touré qui a perdu 14
membres de sa famille suite à un drame survenu à Bamba (Gao), le 24
juillet 1994.
«Les professionnels du crime ont
encerclé la cité de Bamba. C’était aux environs de 10 heures, le jour de
la foire hebdomadaire», se souvient celui qui était dans une boutique
avec un ami au moment des faits. «Tout à coup, des tirs ont retenti. Mon
ami et moi sommes sortis pour constater. Hélas ! Il y avait des morts»,
a regretté le quinquagénaire dont une cousine portant au dos un enfant
de trois ans fut criblée de balles. La pauvre criait au secours avant de
terminer son agonie dans le fleuve. «Le soir, les assaillants, après
avoir semé la désolation, ont quitté la ville», a indiqué le rescapé. À
la suite de l’événement, il a été «officiellement découvert 105 corps»,
a-t-il témoigné.
Quant au jeune Aboubakar Saddek
Ould Mohamed, il a perdu son père suite à un «enlèvement par des
militaires». Ce douloureux épisode s’est déroulé en 2013 à Tombouctou.
«C’était un lundi, quand ils sont venus arrêter mon père et l’amener», a
raconté le jeune homme qui apprendra plus tard avec un «journaliste de
France24 que son parent a été tué».
Contrairement
aux autres victimes dont la plupart ont demandé la réparation
matérielle, Aboubakar Saddek Ould Mohamed voudrait savoir la raison de
la disparition de son père. « Je veux aussi qu’il me revienne et que
l’État prenne en charge notre famille», a-t-il insisté, les larmes aux
yeux.
Mariam Cissé, elle aussi, a perdu son père
suite à « un enlèvement par des militaires». C’était le 20 mai 1991 à
Léré (Tombouctou). «Mon père était médecin. À l’époque, il était en
poste à Niafunké. Il venait voir la famille chaque mois», se souvient la
dame. «Ce jour-là, à peine qu’il soit retourné dans sa famille, les
militaires, venus à bord d’un véhicule, l’ont arrêté et l’ont embarqué»,
a expliqué Mariam Cissé qui apprendra avec un boucher, au petit soir le
même jour, que «son père a été tué». Elle voudrait connaître la raison
du meurtre de son parent.
Aussi, les rescapés des
attaques meurtrières d’Ogossagou et de Sobane Da ont brisé le silence
lors de cette rencontre. «Les terroristes sont venus à motos vers le
soir.
À leur arrivée, ils ont commencé à tirer sur
les personnes. Et, les gens ont couru pour rentrer dans leurs maisons.
Ainsi, les assaillants ont jeté des pailles dans les demeures et sur les
toits, avant d’y mettre le feu», ont raconté deux frères survivants de
l’attaque de Sobane Da survenue, le 9 juin 2019.
D’après
eux, les assaillants avaient d’abord enlevé tout leur bétail.
«Aujourd’hui, nous n’avons rien», ont déclaré les deux hommes dont un
porte toujours sur ses bras des cicatrices dues à cette tragédie.
Quant
aux rescapés d’Ogossagou, ils se disent victimes de l’attaque de «leurs
voisins dogons en complicité avec l’Armée». La tragédie a eu lieu le 23
mars 2019. À la veille de cette attaque, selon eux, il y a eu un
affrontement entre les communautés dogon et peul vivant toutes les deux
dans cette localité. Au lendemain de ce conflit, ont-ils ajouté, «trois
véhicules militaires ont traversé leur village pour aller dans celui des
Dogons». «C’est ainsi que dans la nuit, des hommes lourdement armés sur
des motos sont venus attaquer notre village et y mettre le feu», ont
raconté deux survivants qui ont perdu des parents suite à ce drame.
Cependant,
aujourd’hui, ces victimes semblent pardonner cet acte odieux. «Si un
Dogon tue tous les Peuls, il n’a pas gagné, et cela, vice-versa».
Elles ont néanmoins sollicité de l’État la prise en charge de leurs
familles car ayant «tout perdu suite à cette tragédie». Elles ont aussi
demandé que les autorités prennent leurs responsabilités en désarmant
tous ceux qui détiennent illégalement des armes. Émouvante audience
publique.
Bembablin DOUMBIA